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Mon fournisseur fait faillite 2 jours avant le lancement de FEMPO
(Passer d'un lancement catastrophique à +50 000 clientes en 12 mois)
Dans cette newsletter, je vous raconte comment FEMPO a failli ne jamais voir le jour :
L’usine fait faillite deux jours avant la livraison aux premières clientes
Pas d’atelier prêt à nous aider avant 1 an
Comment j’ai résolu le problème en quelques jours
C’est finalement l’une des meilleures expériences de ma carrière d’entrepreneur
Première semaine de janvier 2018.
C’est la rentrée, j’arrive à l’incubateur.
L’année commence au top.
J’avais passé Noël en famille avec le sentiment du devoir accompli.
Le lancement de novembre s’était très bien passé avec un peu plus de 350 culottes vendues en précommande.
L’usine devait nous livrer les culottes d’ici quelques jours, et il ne restait plus qu’à les expédier aux clientes.
Je pose mes affaires, me prépare un petit café et j’ouvre ma boîte e-mail.
Un message attire tout de suite mon attention. Il vient de la nana avec qui je bosse pour produire les culottes dans un atelier au Portugal.
Je clique.
Le mail est court. Trop court.
L’usine au Portugal a fait faillite.
Je ne sais pas s’ils ont produit tes culottes ou non.
Dans tous les cas, tout est maintenant sous scellé judiciaire.
Il n’y a rien à faire.
Je relis plusieurs fois, incapable d’y croire. Je comprends pas pourquoi elle ne m’a pas appelé.
Je tente de la joindre. Messagerie. J’insiste. Rien.
Mon cœur s’arrête. Je relis une nouvelle fois.
Ma gorge se noue. Ce n’est pas possible. Pas maintenant. Pas après tout ce boulot.
Les clientes ont payé et attendent leur commande.
Je peux pas leur annoncer que tout est tombé à l’eau.
Je retente de la joindre et elle finit par décrocher.
— Allô ?
Sa voix est sèche, presque agacée.
— Salut, c’est moi… J’ai vu ton mail. Qu’est ce qui se passe ?
— Ben, ce que j’ai écrit. On ne sait pas si ta production a été faite ou non. Et maintenant, tout est bloqué.
— Mais du coup on fait quoi ?
Silence.
J’ai mal au ventre. J’attends qu’elle ajoute quelque chose, une solution, une piste, une once de compassion.
Rien.
Je lui dis :
— Mais toi, tu peux m’aider ? Essayer de voir s’il y a moyen de récupérer les culottes ?
Elle soupire.
— Écoute, je dois aider un plus gros client qui est dans la même situation. J’ai pas vraiment le temps pour toi, c’est qu’une toute petite prod. Désolée.
Elle raccroche.
Je reste figée. Hallucinée.
Je ferme les yeux, pose les mains sur mon visage. J’ai envie de pleurer.
Qu’est-ce que je fais maintenant ?
Revenons un peu en arrière.
8 mois avant de recevoir cet e-mail, j’avais développé la première culotte menstruelle en Europe avec 0 budget et sans aucune expertise en textile, le tout dans mon salon.
Après plusieurs prototypes testés auprès de la communauté naissante, il fallait passer à l’étape de la production en série.
Je ne connaissais rien au secteur de la confection. Comment contacter une usine ?
J’avais besoin d’aide.
En fouillant sur Internet, je tombe sur une nana qui se dit “agent textile/modéliste”. Je comprends qu’elle fait le lien entre des marques et des usines de confection.
Bingo ! C’est pile ce qu’il me fallait, et basée à Paris !
Elle travaille avec une usine au Portugal, celle de la marque de lingerie Triumph.
Je la contacte, elle trouve par chance un créneau en janvier dans le calendrier de production de l’atelier.
On décide de faire un lancement en précommande à l’automne.
On vend un peu plus de 350 culottes.
Ça nous permet de financer l’achat des rouleaux de tissus et d’un kilomètre d’élastique (non c'est pas des blagues > 3 mètres par culotte).
Début décembre, les tissus arrivent à l’usine et il n’y a plus qu’à attendre. Tout roule comme sur des roulettes.
À ce moment-là, je ne me doutais pas que quelques semaines plus tard tout allait s’effondrer...
Le muscle de la réussite
J’avais foncé tête baissée, sans connaître grand-chose à la production textile. Je ne savais même pas comment une usine de confection fonctionnait réellement.
Une fois passé le choc de ma conversation téléphonique, il y avait deux options ;
1° rembourser tout le monde et attendre de voir comment récupérer ces tissus un jour. En perspective : des mois de procédure judiciaire pour relancer ensuite une production en 2046…
2° ne pas lâcher l’affaire et trouver une solution.
Quand une tuile pareille nous arrive, on n’a en général aucune idée de comment s’en sortir.
On est tellement stressé, que l’émotionnel prend le dessus et notre cerveau déconnecte.
Sans même prendre un peu de recul et réfléchir.
Quand on bosse à fond sur un projet et qu’on a un problème, en plus juste avant d’aboutir, on est totalement découragé.
On est tout de suite sûr et certain que c’est foutu et on abandonne directement.
Sans même essayer.
En plus, on doit souvent agir dans le flou sans savoir ce que l’on fait. C’est assez flippant.
Si on se laisse aller là-dedans, c’est sûr qu’on laisse tomber.
Si on laisse tomber, c’est sûr qu’on n’atteint pas son objectif...
Mais pour tout vous dire, je suis convaincu qu’il existe un muscle de la réussite et que c’est dans ces moments-là qu’on se doit de l'entraîner. C’est crucial même.
Si on abandonne directement dès qu’on sort un peu trop de sa zone de confort, on n’a jamais l'occasion d'entraîner ce muscle.
Il ne s’agit pas de réussir à surmonter les obstacles à tous les coups. Il s’agit de se muscler petit à petit, de prendre confiance petit à petit. Et en vrai, dans beaucoup de cas, on surmonte les problèmes et on réussit. Et sinon, on devient plus fort pour la prochaine fois.
Je crois que c’est ici que se trouve la différence entre les gens qui atteignent la plupart de leurs objectifs et les autres.
C’est pour ça que quand c’est un peu trop dur, je me pose deux questions :
“Dans quelle catégorie de personnes tu veux être ?” en général -> celle de ceux qui muscle leur réussite
“Qu’est-ce que tu as à perdre ? “ en général -> rien ou juste un peu de temps mais surtout, j’ai souvent beaucoup à gagner
Ça me motive à continuer, ne serait-ce que les 24 prochaines heures. Et c’est souvent suffisant pour commencer à débloquer un peu la situation et se motiver pour avancer encore un peu.
Plus on reporte le moment où on abandonne, plus on renforce notre capacité à avancer dans les moments difficiles, plus on est fort pour la prochaine fois.
C’est une compétence absolument indispensable à développer en entrepreneuriat.
Mon schéma de la réussite :
Pour en revenir au problème qui nous occupe, j’ai donc choisi la deuxième option :
trouver une solution et pas lâcher l’affaire.
Et vous allez voir que même en repartant à zéro, on a seulement eu 3 semaines de retard pour livrer.
Je l’aurais jamais cru.
Et en plus :
j’ai musclé ma capacité à réussir
j’ai appris énormément de choses
j’ai pris confiance en moi sur le projet
Voici ce qu’il s’est passé et le plan détaillé qui a permis de sauver ce lancement :
Étape 1 : Prévenir les clientes
Les clientes sont informées rapidement par email.
Tout est transparent : l’email contient même un screenshot du message de l’agent de production qui m’a snobé au téléphone.
Sincèrement, j'étais sûre qu’on allait recevoir des messages d’insultes ou être traité d’arnaque.
J’étais vraiment sûre de moi là-dessus et ça ajoutait à mon angoisse.
Ça n'est jamais arrivé.
C’est même tout le contraire qui s’est produit.
Les clientes envoyaient des messages d’amour et de soutien.
Elles disaient :
“bonne chance”
“merci de ne pas abandonner”
“je vais encore avoir mes règles des années, je peux attendre quelques mois”
Ça m'a donné de la force.
Étape 2 : Trouver des tissus : pas si simple …
Je n’avais plus de tissus et il s’agit de références bien précises. Le dossier technique et le prototype avaient été conçus en se basant là-dessus.
Impossible d’acheter un rouleau de coton lambda chez Mondial Tissus haha.
J’ai rappelé les fournisseurs. Il y avait 5 matières au total chez 5 fournisseurs différents.
J’explique mon problème d’usine au Portugal...
Ils ont tous été trop sympas et ont cherché des solutions pour m’aider.
Ils ont passé du temps sur le tout petit client que j’étais au départ et j’en suis vraiment reconnaissante.
Le temps qu’ils vérifient leurs stocks, ils se passent plusieurs jours, plusieurs aller-retours au téléphone, des relances...
C’est un peu stressant mais l’espoir renaît.
3 fournisseurs ont le stock : génial !
Et puis :
Le fournisseur d’élastique : “ j’ai la bonne référence mais dans une autre couleur de noir”. Moi : je ne savais même pas qu’il y avait plusieurs noirs … je prends.
Le fournisseur de l’absorbant me propose du blanc au lieu du noir. Comme cette matière est cachée à l’intérieur de la culotte, je prends aussi.
En 1 grosse semaine, j’avais le stock qu’il me fallait.
Je suis reboostée à bloc 💪
Étape 3 : Trouver un nouvel atelier de confection capable de produire au plus vite : mission impossible ?
Ici j’ai fait une liste de qui pourrait m’aider. C’était vite fait ; j’avais 2 noms.
Quelques mois auparavant, j’avais contacté 2 types qui avaient chacun monté leur marque de caleçons pour hommes.
Je voulais juste avoir des conseils. Ils avaient été super sympas avec moi en prenant du temps au téléphone.
Je suis un peu gênée de les solliciter de nouveau mais je prends mon courage à deux mains et je me lance.
Je leur explique mon problème, ils me filent tous les deux 1 contact et me souhaitent bonne chance.
J’appelle le premier contact. Cette personne m’a complètement démoralisée... Au téléphone, je sens qu’elle me prend un peu de haut… parce que je suis jeune … pas du métier.
Elle me dit que je rêve, que personne n’acceptera de produire mes culottes avant au moins septembre si j’ai de la chance, soit dans 9 mois minimum.
Elle m’explique que les calendriers des usines sont bookés 1 an à l’avance. Qu’en plus, les usines ne vont pas se prendre la tête à régler toute une chaîne de production pour 350 culottes…
En raccrochant, je suis au bout de ma vie : les montagnes russes de l’entrepreneuriat…
Quand tu n’y connais rien et qu’un pro te dit que tu rêves totalement… t’as tendance à prendre les paroles pour argent comptant…
Foutu pour foutu, j’appelle la deuxième personne. Lui n’est pas un intermédiaire mais possède une usine.
Accueil plutôt sympathique :
— Allô oui ! On m’a dit que tu allais m’appeler.
Je raconte toute l’histoire et le projet de la culotte menstruelle.
Il me dit :
— 350 culottes, c’est vraiment une petite production.
Je me dis “oh non, c’est mort, il va pas vouloir de moi…”
et il ajoute
— Entre deux productions de mes clients, je te les fais passer tes culottes…sans problème.
Je suis un peu surprise : “c’est vrai ?”
Ne jamais déléguer quelque chose qu’on ne sait pas faire :
2 jours plus tard, je prenais seule le premier avion pour Monastir en Tunisie.
Je parle pas un mot d’arabe, j’ai jamais mis les pieds là-bas…
Je me retrouve littéralement à des centaines de kilomètres de ma zone de confort.
Une fois sur place, on commence à travailler.
Les couturières ne parlent pas français.
Le directeur de production est adorable, il fait la traduction.
On se fait comprendre par les gestes, on éclate de rire très souvent.
Leur travail est passionnant.
J’apprends comment fonctionne une chaîne de production, le réglage des machines, le contrôle qualité…
Comment on coupe des “matelas” de tissus avec une sorte de scie sauteuse.
On obtient ainsi les pièces de centaines de culottes en même temps.
Je vais essayer les culottes dans les toilettes, pour vérifier si ça taille bien.
Il n’y a pas de miroir, c'est un peu compliqué, je prends des photos avec mon téléphone pour voir comment ça me va …
Système D mais bon, on avance vraiment bien.
Je dois prendre des décisions sur le produit alors que je ne connais pas les réponses.
Je me rends compte qu’il y a une grande différence entre bricoler un proto dans son salon et mettre un produit en production en série.
Au bout de quelques jours, je rentre finalement en France et j’attends la livraison de culottes qui arriveront par bateau. J’ai hâte.
Au final, on a expédié aux clientes avec seulement 3 semaines de retard. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à y croire.
Pendant longtemps, j’allais une semaine par mois en Tunisie pour suivre les productions et travailler dans l’atelier avec l’équipe. J’ai tellement appris. Je les remercie infiniment.
Une ambiance tellement géniale que je n’oublierai jamais.
Maintenant que j’ai revendu FEMPO, c’est une des choses qui me manque le plus.
La leçon :
Je remercie cette modéliste de m’avoir raccroché au nez ce jour-là.
Sans elle, je ne serais jamais devenue autant experte de mon produit.
Je n’aurais pas travaillé ma résilience et mon muscle de la réussite.
J’ai appris à demander de l’aide,
J’ai appris à ne pas me décourager peu importe ce que “les experts” disent.
Et j’ai surtout compris qu’il fallait jamais déléguer un truc qu’on savait pas faire. Quitte à mal le faire au départ.
Et en bonus, les clientes étaient encore plus à fond dans l’aventure et FEMPO a bénéficié d’un bouche-à-oreille de fou à la suite de cette histoire.
Avez-vous un ami qui pourrait bénéficier de ces conseils ?
Transférez-lui cette newsletter.
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Fanny 😎